Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Merci de nourrir les poissons en mon absence

« Les bloggeurs bayonnais | Page d'accueil | Umberto D. à l'Autre cinéma »

samedi, 17 septembre 2005

«Mieux vaut le paradis dans la tête que l'enfer que nous vivons»

 

Le paradis c'est la mort

 

à propos de Paradise Now, le film
Un bus de la plus grande compagnie au monde, la coopérative Egged Bus, roule sur un boulevard du front de mer à Tel Aviv. Le flot de circulation semble des plus fluides. Aucune tension particulière n’est décelable. Le chauffeur s’arrête à une station pour prendre en charge plusieurs nouveaux passagers, dont no- tre héros, un jeune homme, brun, bronzé, plutôt beau. Il est plutôt très chic dans son costume sombre, notre bel héros, sa chemise blanche et sa cravate laissent imaginer qu’il se rend au mariage d’un cousin ou d’un ancien copain de collège. à moins qu’il n’ait rendez-vous pour la première fois chez les parents de sa bien aimée. Saëd. Il se laisse choir sur le premier fauteuil qu’il trouve libre, comme épuisé par une course dans les rues d’une grande ville étrangère pour lui. Comme s’il avait dû courir les soixante kilomètres qui séparent l’enfer palestinien de Ramallah de cette paradisiaque station balnéaire israélienne. Le bus est quasiment plein, plein de jeunes gens, filles et garçons du même âge, essentiellement des conscrits qui s’interpellent joyeusement l’un l’autre, manifestement fiers de porter l’uni- forme de Tsahal. Peut-être notre héros est-il en permission, ses cheveux sont coupés très courts aussi, malgré son costume ci- vile, il ne dépareille nullement… à moins que la conscience ex- trême de sa mission ne l’ait déjà rendu invisible. Personne ne le remarque, personne ne s’est aperçu de son air taciturne, per- sonne n’a reconnu en lui l’ennemi, le kamikaze, personne n’a vu ses yeux de mort, déjà tournés vers le vide, vers l’absence, vers la disparition. Seule la caméra s’intéresse à lui et zoome progressivement sur ses yeux fixes, son regard panavisionné censé nous montrer enfin l’image du paradis instantané. Les voix jeunes et enjouées des autres passagers sont peu à peu effacées par l’intensité de ces yeux noirs qui feront tout à coup se blanchir l’écran du cinéma et se taire tous les chants de la vie. Plus aucun son, c’est comme si la pellicule s’était coupée net pour démontrer que la mort ce n’est pas l’enfer que l’on prétend, l’enfer que l’on est habitué à voir sur nos écrans de télévision après ces explosions médiatiques de la violence et de la peur au quotidien. Aucune tâche de sang, le projecteur qui continue à tourner éclaire la blancheur éblouissante de l’écran inventant ainsi la seule image montrable, celle du paradis qui dit que tout est fini, que tout est mort, désormais. Plus aucun son, pas le moindre cri de douleur, les morts ne râlent pas dans leur paradis. Tous les morts se mélangent dans le vide absolu…
toujours à propos de Paradise Now, le film

Le film de Hanny Abu-Assad m’aura coupé le souffle infiniment, avec ses dernières images du vide après la vie, il a su me montrer ce que personne avant lui n’avait osé regarder en fa- ce, la mort au fond des yeux d’un jeune Palestinien désespéré de survivre sans le moindre espoir. «Mieux vaut le paradis dans la tête que l’enfer que nous vivons», répondent en échos vengeurs les dizaines de milliers de Khaled de Palestine, d’Iraq, d’Afghanistan, de Tchétchénie ou d’ailleurs… et, en l’occurrence, le paradis, c’est la mort. Quelle réponse donner à ce dilemme suicidaire pour tout un peuple spolié de sa terre, peuple désor- mais martyrisé par le plus martyrisé de tous les peuples de l’histoire ? Je ne sais pas, je n’ai aucun début de réponse défini- tive. Je veux juste persister à m’agripper aux bribes de certitu- des qu’il me reste : seul l’espoir peut lutter contre le désespoir, seule la vie peut l’emporter sur la mort, seule l’entraide et la solidarité peuvent faire tomber les murs, seule la justice peut vaincre l’oppression. Une victime n’aura jamais aucune légiti- mité à se transformer en bourreau. Le paradis n’existe pas plus pour les victimes que l’enfer pour les bourreaux.

 

Robinson Crusoé

20:20 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.