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Merci de nourrir les poissons en mon absence

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vendredi, 11 novembre 2005

Métropolis-sous-Bois :

 

La vraie vie

 

c'est du cinéma

 

C’était il y a un mois, à la taverne de l’Atalante, j’étais assis au comptoir, comme d’habitude, touillant mes idées grises à la pe- tite cuillère dans le marc de café, sous mes yeux à lunettes un journal parlait de cinéma en gros caractère, plein de gras et de bâtons, nous devions être un mercredi, probablement, et le film dont Ramuntxo voulait me causer n’était à l’affiche nulle part. Nulle part à Bayonne je veux dire, nulle part sur la Côte bas- que, nulle part ailleurs dans la vraie vie, je crois. Il me causait d’un film qu’il était très fier de pouvoir programmer sur la pro- chaine gazette. Un film culte. LE film culte. LE film essentiel. LE film fondateur. LE chef-d’œuvre. Quatre syllabes tonitruantes pour le titre et une inspiration géniale qui se frotte les dents, sûrement pour mordre l’histoire en plein cœur, et se ferme par un claquement de langue pour nommer l’auteur : Me-tro-po-lis de Fritz Lang. Oui, euh, évidemment, j’en avais entendu parler, lui dis-je, hésitant, troublé par la flamme carnivore de ses doc- tes propos, oui, des réminiscences indéfinies, il me semblait en avoir, vagues souvenirs d’un cinéma de minuit en noir et blanc dans le silence d’une adolescence insomniaque, oui, j’avais dû lire des trucs aussi, pour le moins survoler des analyses fonda- mentales, dans le vrai Libé d’autrefois, ou ailleurs, aligner des mots et des pensées derrière une réputation de référence intel- lectuelle, le si fameux Metropolis de Fritz Lang !... ça touillait de travers dans ma tête, d’un peu plus je lui avouais mes fantas- mes de félin underground !… en fait, dans ma vraie vie à moi, il me paraît toujours trop «compliqué» d’assumer les multiples circonvolutions de mon esprit, ben oui, j’ai longtemps confondu Fritz the Cat avec l’auteur génial de toutes ces oeuvres cul- tissimes dont je n’avais goûté aucune image. Metropolis est le premier et unique film de Fritz Lang que j’ai vu, donc, à cette heure, grâce à Ramuntxo et à son prosélytisme personnalisé.

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C’était il y a un tout petit peu moins d’un mois. Donc. Ma vraie vie ignorait encore la fiction de mon cinéma intime et je suis allé le voir, LE film, à l’Autre cinéma, un après-midi, LE Metro- polis de Fritz Lang. Nous étions trois ou quatre dans la salle ; le culte ne fait plus guère recette que dans la vraie vie, où vice versa. La lumière s’est éteinte à trois cent mille kilomètres par seconde pour ne conserver que le meilleur, en panavision, vingt quatre fois par seconde. Cinq mille quatre cent et quelques se- condes, mes nerfs optiques transmetteurs auront bien fonc- tionné sur le mode alternatif, au rythme monotone des sanglots blonds de l’héroïne teutoniquement virginale et du demi million d’images expressionnistes, la magie de la lanterne aidant, je n’aurais sommeillé que quelques broutilles de secondes. Et encore, ce devait être devant un écran noir. Quand l’écran est redevenu blanc de vide retrouvé, j’étais le dernier, collé au fond de mon fauteuil «réservé», en première ligne, effrayé, et déçu, et dégoûté, honteux en même temps, mal dans ma tête, mal entre mes mains, je faisais un rejet viscéral de la média- tion et mon cœur a continué de battre calmement, pourtant. J’étais même passé à côté de l’émotion ! L’émotion que l’Art est censé distiller jusqu’au bleu des veines les plus intimes. Eh merde ! Ramuntxo semblait tellement convaincu que j’adhére- rais à 100 % ! Depuis presque un mois maintenant, le culte me paralyse les doigts vengeurs et je ne sais plus que digresser pour ne pas dire trop franchement ma haine. Ma haine de cette médiation entre les mains et la tête, ma haine de la négation de la haine, ma haine de l’idéologie fasciste en pente douce, ma haine de tous les médiateurs de cœur qui s’autoproclament démocrates ou socio ou chrétiens ou libéraux, ma haine de la soumission acceptée, de la soumission entremise, ma haine de la concurrence entreprise, ma haine de mon impuissance à formuler intelligiblement ma haine…

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Peut-être ressens-je cette même Haine qui se rallume cycli- quement dans les banlieues de la mégalopole ! Le pire c’est que Fritz Lang aurait, parait-il, toujours renié la «fin» de son film. Cette «fin» par trop visiblement simpliste et moralisatrice (du happy end hollywoodien avant la lettre) qui justifierait tous les moyens de nier l’évidence de la lutte des classes… ça y est, le mot est lâché, je vais encore me faire lyncher… Cette médiation du cœur, martelée au début, martelée au milieu et martelée à la fin de ce cuculte (la colère me fait bégayer des doigts) filmé en contreplongée allégorique pour tordre le cou à toutes les faucilles «proloterriennes»… Cette «fin» là efface toute inter- prétation critique, tout espoir d’explosion émancipatrice, le «il faut que» se réalise par la volonté médiatrice du réalisateur lui-même. Hitler et Goebbels ne s’y sont pas trompés qui, à la sortie d’une projection du film, proposèrent à Fritz Lang de diriger le cinéma allemand, entre temps devenu vociférant. Proposition d’embauche en c.d.i. de débauche pour un Reich de mille ans. Fritz a refusé, il se savait mortel, et s’est enfui pour l’Amérique, le jour même. La médiation n’était plus donc aussi indispensable, il faut croire, ou était-ce trop tard ; le cœur avait désormais impérativement besoin d’un océan entre lui et la tête, son épouse, qui avait déjà rejoint depuis belle lurette la direction du parti nazi ; de par le monde, les mains et les bras se tendaient d’une raideur menaçante pour saluer les vain- queurs annoncés…

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Quatre-vingts ans plus tard, c’était il y a un peu plus de quinze jours, au cœur de ma tête pleine de vain, LE film résonnait encore de cette «fin» qui pourrait être celle de l’Histoire et j’avais la très douloureuse impression que plus personne ne comprenait rien à rien. Surtout moi. Comme un cliché d’ex- tralucidité, internet me montra Clichy faisant feu de tout bois, et je n’avais toujours rien écrit de ma haine pour Metropolis. Où donc résidait l’anticipation, dans LE film je veux dire, la pré- monition de cette métaphore de la vraie vie ? Dans LE film, déjà les mêmes grosses ficelles de l’allégorie et du sensationnel, comme au journal de 20 heures quand nous tous, bons cochons de bourgeois précaires et sans le sou, faisons slurp-slurp avec la soupe de Monsieur le ministre de l’Intérieur, et beurk, et encore slurp-slurp, et bravo, et quel courage il y a à dire tout haut ce que pense la bassesse ! Dans la vraie vie, depuis très exac- tement 18 jours, ou 18 ans, ou 18 siècles, la plèbe de nos sociétés explose en émeutes de la faim, émeutes de l’urgence absolue, émeutes de l’absolue précarité, émeutes de la haine absolue. Metropolis aurait pu noyer sa plèbe révoltée pour ne pas croire au miracle de la médiation sociale, mais le caméraman a préféré ouvrir la bonde de l’illusion pour sauver l’humanité ; Sarkozy propose aux caméras de karchériser la «racaille», et nous répondons tous en chœur, slurp-slurp, rallumez la lumière, les braves gens ont peur du noir ! Déjà, il y a quatre-vingts ans, le cinéma inventait la vraie vie, cette vraie vie qui incendie encore aujourd’hui nos voitures dans le poste de télévision. Déjà, il y a quatre-vingts ans, LE cinéma proposait un Sauveur, un médiateur pour sauver cette vraie vie qui se déchire entre riches et pauvres, entre gens d’en haut et gens d’en bas, entre eux et nous… Mais LE cinéma n’a rien su empêcher, Fritz Lang est mort avec ses regrets et nous ne comprenons toujours rien à la vraie vie. Je ne comprends toujours rien, mais au moins je suis convaincu que le pire adviendra de nouveau, que le pire sera irrémédiablement accepté par les majorités silencieuses à Metropolis-sous-Bois. Et, enfin, je réussis à écrire ma haine de la télévision.

 

Robinson Crusoé

 


Commentaires

Très belle affiche... mais pas mal effrayante quand même !
C'était peut-être le but, hein, très bleu plébéien ?

Écrit par : Patxaran | vendredi, 18 novembre 2005

Tout juste, cher Patxaran.
J'ai lu tes posts sur le forum de l'Atalante ; difficile à remuer ce truc, hein !
N'empèche que je suis d'accord avec toi, je boirais bien un petit patxa à la taverne de l'Atalante si la Madame du comptoir elle voulait bien nous en servir q;o)

Écrit par : le plébéien bleu | vendredi, 18 novembre 2005

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