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Merci de nourrir les poissons en mon absence

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dimanche, 24 février 2008

Chronique débâillonnée n° 4

Les pains aux
 
raisins de la colère*
 

Sur les terres rouges et sur une partie des terres noires de la plaine d’Ansot, la Nive a reconquis ses barthes et les oiseaux emmanchés d’un long cou plantent à nouveau tout naturellement leurs becs dans les vasières pour y réveiller quotidiennement la vie. Sous le pont Pannecau, Cocor est revenu pacifier les hommes avec une dizaine de ses congénères cormorans. Tout là-haut, dans le ciel de Jean Dauger, le bleu trop clair et moutonneux s’est assorti enfin au vert de cette si fo- lâtre pelouse d’Ovalie où cou- rent et transpirent vaillam- ment les accortes Souletines de l’ASB. Dans ce ciel aux couleurs de l’espoir retrouvé, les mouettes crient leurs prédictions optimistes… et elles ont toujours raison, c’est connu, les mouettes rieuses venues du large, ce soir il va pleuvoir, il pleut déjà, et c’est tant mieux pour Bayonne, et c’est tant mieux pour la Terre. Plus bas vers le fleuve, un joli toit de tuiles orange a poussé spontanément sur les arènes transformées, par on ne sait qui, en salle de concerts gratuits. La pluie arrive, la pluie est là, mais cette nuit nous serons des milliers de Bayonnais pour fêter la victoire, chanter à l’unisson et trinquer en canons qui se laisseront boire comme du petit lait.

Sur tous les boulevards de la ville, les trottoirs ont envahi le pavé et les piétons se sourient, complices, par en dessous leurs parapluies. Depuis le pont rose jusqu’au pont de fer, l’Adour se gonfle d’amour pour les vivants. Devant l’Autre cinéma, une péniche s’est libérée toute seule et vogue à contre-courant vers la prison pour y embarquer des humains débâillonnés. Ils iront voir la mer, ces êtres d’humanité, c’est sûr, leurs mains agrippées à des cerfs-volants magnifiques. Tout le jour et toutes les nues sont gorgés de cette eau qui se déverse sans discontinuer et sans discrimination sur les têtes des petits comme des grands, heureux d’apprendre à nager les deux pieds plantés sur notre belle planète bleue. De ravissants petits ballons multicolores rebondissent de flaques en flaques tout le long du boulevard d’Alsace Lorraine jusqu’à cette Villa Chagrin désormais ouverte aux quatre vents de la liberté. En face, une foule joyeuse et endimanchée fait queue devant la boulangerie de madame Mercibeaucoup…


« J’ai faim, mmmm », c’est Mamour qui tente de me réveiller. « Pettan, j’ai faim ». Elle vient carrément de m’expulser de dessus le futon avec ses petits pieds tout chauds de grasse matinée. C’est dimanche, il est dix heures du matin, autant dire l’aube. Je dois me lever, m’habiller, sortir de mon home sweet home, franchir deux coins de rue, traverser le boulevard sur un passage protégé à mes risques et péril, acheter la baguette pour madame, revenir fissa et mettre l’eau pour le thé à chauffer sur le feu de la gazinière, les sets et les bols sur la petite table de la terrasse, il fait beau et doux ce matin, presque comme dans ce printemps onirique qui embrume encore mon esprit… Pour la première fois de l’année, nous prendrons le petit déjeuner dehors. J’ai un peu le trac. Je ne sais pas trop pourquoi. Je suis encore dans mon rêve et n’ai pas envie d’en sortir. Dans la réalité, ma boulangère ne s’appelle pas madame Mercibeaucoup. Madame Mercibeaucoup, c’est cette dame sans âge et anonyme qui mendiait si pudiquement à la sortie de la boulangerie, il y a quelques dimanche, quémandant les piécettes de cuivre qui encombrent mon porte-monnaie, les sept centimes qui font que la baguette ne coûte pas encore un euro à St Esprit. Ma boulangère (je préfère ne pas la nommer, elle se reconnaîtra de toutes façons) a dû la chasser d’une manière ou d’une autre, madame Mercibeaucoup. D’ailleurs je ne l’ai vue qu’une fois, je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle est devenue. Avec l’obole bicolore que j’avais déposée du plus discrètement que je pouvais dans sa sébile ce dimanche-là, elle n’a pas dû pouvoir s’offrir du rêve, madame Mercibeaucoup. J’y repense encore ce matin en hésitant pour m’offrir mon pain aux raisins dominical… 

Ben oui, je suis gourmand, et alors ! Je ne considérerai jamais comme un luxe le fait de m’offrir une viennoiserie pour mon goûter en rentrant de mon dur labeur salarié de la semaine, et encore moins le dimanche pour mon petit déj’ amoureux. Tant que la fondation des Hôpitaux de Paris paiera des Porsche Cayenne aux David trop Douillet pour être franchement honnête, et rien qu’en pièces jaunes, m’sieurs-dames, entre cent et cinq cent milles petits ronds de charité publique, oui, tant que les employées servilisées à mi-temps par ma boulangère baisseront les yeux sur le tiroir-caisse quand je leur assénerai des vérités sur les petites tirelires en carton de Bernadette Chirac, même le réel danger diabétique ne parviendra pas à me faire culpabiliser. Ce n’est pas un luxe, mais il a atteint un niveau de prix exorbitant, mon pain aux raisins de plus en plus riquiqui. Un euro et dix centimes. J’ai pas mal la mémoire des chiffres et me souviens bien que je les payais soixante centimes en 2004, mes goûters de gourmant. Depuis, mon salaire a augmenté de 2 % et des broutilles par an, au rythme du SMIC. Je ne voudrais pas enfoncer les portes ouvertes, quoique, mais ma boulangère qui manifeste ses lamentations anti-inflationnistes sur des affichettes du syndicat des minotiers se fout bien de ma gueule et de celle de tous les gogos par la même occasion en prétextant son incapacité à faire autrement quand elle répercute la hausse des prix des matières premières en multipliant quasiment par deux en quatre ans celui de toute sa viennoiserie. Les potentats de la minoterie en gros prétendent que le prix du blé aurait grimpé de 136 % durant cette période, j’ai vérifié, c’est faux, ou peut-être seulement une coquille… En fait, l’augmentation a été très exactement de 36 %, ce qui n’est tout de même pas négligeable, bien sûr. Mais quand on sait que la farine intervient seulement pour 10 % dans le prix de revient du pain (et très certainement moins encore dans celui du pain aux raisins), cette inflation sur la matière première ne justifie que très partiellement les cinquante centimes supplémentaires qui, sur le même principe des ruisseaux de pièces jaunes qui font les rivières de diamants, enrichissent de plus en plus ostensiblement ma boulangère du boulevard d’Alsace Lorraine, madame X qui apprécie tant les bijoux et les gros quatre-quatre japonais…

« Je vais faire une petite sieste », c’est rituel aussi, le dimanche. Le jour de repos hebdomadaire c’est sacré et Mamour respecte tellement le sacré qu’elle ne demanderait qu’à le partager avec moi. Mais les doubles journées imposées par mon bénévolat dans cette campagne électorale sont si éprouvantes que je m’endors avant même d’avoir atteint l’apaisement absolu de l’horizontalité transcendantale…

C’est bien étrange, je me croirais presque dans le rêve d’un autre. Un rêve utopiste pour moi qui clame partout mon pragmatisme révolutionnaire (non, ça n’est pas obligatoirement antinomique)…

Nous sommes le lundi 10 mars, ou plus probablement le 17, mon chiffre magique. Dans le poste, un journaliste officiel tend le micro aux perdants. Ça grésille un peu sur la bande FM, comme au temps des Grandes Ondes. Yves Ugalde bégaie, Jean Grenet s’énerve et colère pour la forme, Jérôme Aguerre dit « euh », Martine Maillefert, quant à elle, restée en panne à Anglet, écoute la radio comme nous autres, personne ne saurait comprendre ce qu’ils tentent d’expliquer : « Oui, il y a un mouvement… euh…». Aucun des techniciens qui fabriquent ces bruits incongrus dans le haut parleur de ma radio ne sont évidemment domiciliés à Baiona berria, le nouveau Bayonne qui est resté chez lui, qui ne s’est pas levé pour aller travailler, qui reste au lit en ce lundi matin ensoleillé. Après la pluie diluvienne de bulletins de vote oniriques dans les urnes bayonnaises, les maîtres sont restés sans voix et, de tous les foyers bayonnais, de toutes les maisons, de tous les immeubles, de tous les appartements sous deux clés ou sans clé du tout, une clameur anonyme et unanime jaillit soudain : « Alors, ces pains aux raisins, ça vient ! »

« Hein, oui ! Quoi ? Oui, je me lève. Je fais la vaisselle… Je goûterai après.»

à suivre... 

 

* hommage oniriste à John Steinbeck qui, si il était encore vivant et habitant de Bayonne, ne manquerait pas d’appeler à voter pour Baiona Berria.

Commentaires

Jolie finale ou comment passer des raisins de la colère aux pains de l'amour

Écrit par : Prax | lundi, 25 février 2008

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