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Merci de nourrir les poissons en mon absence

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dimanche, 10 février 2008

Chronique débâillonnée n° 2

La coiffeuse

 

de la République

 

Les cheveux ça pousse tout le temps et partout. Sur les têtes des morts comme sur celles des vivants, toutes ou presque, même sur celles des barbares basques. Et surtout sur la mien- ne, de tête, pleinement revendiquée basque et plus tellement barbare, j’espère, malgré ma tignasse hirsute. Bref, quand il faut, il faut, et là, l’urgence est absolue. En rentrant du boulot, je gare ma moto en face du salon de ma coiffeuse préférée, place de la République, à St Esprit. Dés la porte d’entrée franchie, mademoiselle Joana me sourit ; manifestement, elle pourra me prendre ce soir, et peut-être même assez vite.

Dans le miroir, l’image d’un garçonnet vissé sur son rehausseur ne me sourit pas, elle. Il semble comme inquiet, le reflété, allez savoir pourquoi ! Les ciseaux spécial enfants de la coiffeuse ont bien sûr les bouts arrondis et la maman veille sur son rejeton, apparemment sereine. Je souris à tout le monde, aux dames d’abord, à la réflexion infantile ensuite. Mademoiselle Joana me confirme qu’elle pourra s’occuper de moi d’ici quelques minutes, dès qu’elle en aura terminé avec le fils de madame Browning.

Je patiente donc, comme convenu, faisant même très poliment l’effort d’une amorce de conversation généraliste avec la clien- te, m’appliquant à faire sourire cette ménagère de moins de quarante ans (je suis en campagne électorale) à propos de tout et de rien, et surtout de Bayonne qui se dit Baiona en basque, Bayoune en gascon et « chez Joana » en souletin.

Moins d’un millionième de millimètre de cheveux étirés sur ma tête plus tard, mère et fils capillicultivé de propre se sont carré- ment volatilisés. L’accorte souletine a fait disparaître toute trace de stress de son confortable fauteuil rouge si seyant à mon séant et me masse déjà voluptueusement le cuir hyperchevelu. « Je n’aime pas cet enfant », m’avoue-t-elle sur un ton sans tain.


Mademoiselle Joana est née à Musculdy ou à Esquiule ou à l’hôpital de Mauléon, je ne sais pas exactement mais il y a cer- tainement moins de trente ans. Elle est souletine et coiffeuse de profession, c’est tout ce que je connais de son état civil. Je sais aussi qu’elle est plutôt jolie et nature, douce de voix et ferme de caractère, d’humeur égale, généralement enthousiaste. Elle a un accent prononcé mais ne comprend pas le basque, même si elle le chante souvent les samedi matins aux halles avec Baiona Kantuz. Son goût affiché pour les fripes amplement colorées et fleuries la classe au chapitre baba-bio de mon lexique des clichés. Parfois, je l’aperçois traversant le pont St Esprit par la piste cyclable – elle doit habiter sous un tipi au Petit Bayonne (Baiona Tipia), je présume. Mademoiselle Joana est sportive et m’a confié, une fois, qu’elle adorerait jouer au rugby avec la section féminine de l’Aviron si il y en avait une et que, quand elle aura une fille, elle l’inscrira à l’ASB. J’en ai donc déduit qu’elle n’est pas encore maman mais qu’à priori elle les aime plutôt, les enfants… sauf celui de madame Browning qui n’a probablement jamais touché un ballon ovale.

« Je n’aime pas non plus les Kevin » que je lui réponds, deux shampouinantes et silencieuses minutes plus tard. « Kevin ? » qu'elle éclate de rire, « mais le fils Browning s’appelle Reming- ton, pas Kevin, hi-hi-hi »… Je ne sais évidemment pas si je dois la prendre au sérieux, le prénom de Remington n’évoquant pas uniquement une marque de tondeuse à cheveux…

« En fait, ce n’est pas vraiment la faute à Remington », com- mence-t-elle, « c’est plutôt à cause de sa mère ». Mademoiselle Joana, d’un rapide coup d’œil dans la glace, s’assure que la révélation ne pourra être interrompue par un quelconque inopiné. « Je venais d’ouvrir, c’était il y a trois ans. Kevin, euh, Remington devait en avoir quatre, au maximum. Un tout petit garçon terrorisé qui mettait pour la première fois les pieds dans un salon de coiffure… et sa pauvre petite tête fragile entre mes mains si peu expérimentées… ». C’est aussi la première fois que j’entends avec un véritable intérêt la confidence d’une coiffeuse plus spirituelle qu’authentiquement spiritaine, je pense. « …Le petit s’est mis à hurler tout à coup, dés que la sensation métallique du ciseau lui a frôlé l’oreille… un cri d’effroi qui m’a littéralement déchiré le cœur… ». Je suis tout aussi impressionné par la précision de son vocabulaire. Mademoiselle Joana revit l’événement un peu comme si elle venait d’en lire à l’instant le compte-rendu dans le Journal du Pays basque. « Madame Browning s’est tout de suite interposée, moi j’étais comme tétanisée, coincée debout entre le fauteuil et le mur… Elle a pris le petit Kevin dans ses bras, le serrant contre son cœur… Mais il ne s’est pas calmé, du moins pas tout de suite, malgré tous les arguments pour convaincre sa géniture de mon inoffensivité.» J’ai le sentiment que ma coiffeuse épanchée comprend que ma complicité lui est acquise. Joana grimace tout de même - ce qui ne lui va pas du tout -, en poursuivant sa narration. « Le pitchoun s’est détendu enfin, un peu, quand la matrone protectrice a trouvé la parade miracle et imaginé de lui proposer un  marché ». Très bon public, je retire mes lunettes pour mieux l’écouter et lui permettre de me mouiller les che- veux. Chez Joana, l’eau est toujours à la température idéale, celle de la chaleur humaine partagée. « Je suis encore toute retournée à l’évocation de cet étrange deal, monsieur Pettan… » soupire-t-elle émue en commençant à papouiller ma mousseuse boite crânienne. Ben oui, la Soule a été occupée, comme Bayonne et St Esprit, par les Anglais et le shampoing de la dou- ce Joana n’est pas loin de m’inspirer une éternelle reconnais- sance pour nos cousins d’Albion tandis que la révélation sur la teneur du deal en question me décoche un uppercut en pleine incrédulité. « Tu me promets de ne plus pleurer et de laisser la dame te couper les cheveux… » reprend-elle, « et si elle te fait encore mal, on téléphone à papa et il vient tout de suite avec son fusil pour punir la vilaine dame… ». Le dictateur bonzaï a dû renifler encore quelques instants son hystérie apaisée, c’est ce que je me figure, puis rassuré par la promesse d’une interven- tion armée de son paternel, s’est  tenu coi et Joana, terrorisée mais professionnelle, a pu faire son métier de coiffeuse. Une profession qu’elle exerce si consciencieusement avec moi… et si courageusement quand surgit un Kevin.  

Quelques minutes, je rêve à une ville comme Irvine en Californie, la ville la plus « safe » des USA, où il est interdit aux enfants de sortir dans la rue, où tous les carrefours ont leurs angles arrondis comme les ciseaux de Joana… Je me demande ce que diraient les insécurisés permanents de cette France qui a peur. Je me demande pour qui ils prendraient parti, pour monsieur et madame Browning ou pour ma coiffeuse de la République qui n’a jamais eu peur des petits Mohamed ni des petits Citseko et abhorre les fusils des chasseurs.

Malgré l’émotion, mademoiselle Joana a parfaitement réussi sa coupe ; ma compagne sera satisfaite car je n’ai plus du tout l’air d’un barbare… sauf peut-être encore un tout petit peu sous mon casque de motard.

à suivre... 

Commentaires

Je ne voyais pas où se cachait le message politique, il faut être patient.

Écrit par : Prax | mardi, 12 février 2008

Le message politique pouvait apparaitre dès la troisième ligne pour ceux qui daignent cliquer sur mes petits mots bleus. Sinon, effectivemment, il fallait aller bien au-delà des dix-sept premières lignes et même cliquer sur "lire la suite"... Evidemment, pour les fans de haïkus, ça ne doit pas être facile-facile q;o)

Écrit par : Pettan | mardi, 12 février 2008

Je ne clique jamais sur les mots bleus car cela coupe l'effet du texte. Je lis en entier (et après je ne pense pas à remonter pour cliquer)

Écrit par : Prax | jeudi, 14 février 2008

C'est ballot tout de même !

Écrit par : Pettan | vendredi, 15 février 2008

Les commentaires sont fermés.