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mercredi, 20 avril 2005
Où est donc passé Faysal Hussein ?
L'homme marche sur un trottoir, une silhouette efflanquée se fondant dans une djellaba blanche avec boléro brodé, costume traditionnel pakistanais très certainement musulman. Il tire derrière lui, paisiblement, une chèvre, au bout d’une corde. Ça se passe quelque part en Angleterre, dans une rue d’un quartier résidentiel populaire, immeubles aux murs de briques, peut-être à Londres, ou ailleurs, peu importe. La scène pourrait sembler « décalée », comme on dit, mais elle ne l’est qu’un tout petit peu. Je suis assis dans un fauteuil de cinéma, tout de même... A prendre juste cette image, rien que cette image unique, isolée du contexte, extraite du film, cet homme étrange, cet animal hors de propos, on sourit, obligatoirement. Un sourire attendri et curieux à la fois… Il était encore très probablement vraisemblable de faire pareille rencontre à l’automne 2001 dans les ghettos « pakis » de Grande Bretagne. Mais aujourd’hui, trois ans et demi après le « début de la guerre des civilisations », où sont donc passés Faysal Hussein et sa chèvre Hannah ? Je me suis familiarisé tout de suite avec cette chèvre, je ne saurais trop dire pourquoi, là je lui donne son petit nom bien que je n’ai jamais vu ni entendu Faysal ou quiconque s’adresser à elle. Il m’aura fallu une certaine sagacité au déchiffrage du générique de fin… Bref, juste avant cette scène teintée d’un soupçon de surréalisme, les forces spéciales anti-terroristes de la police britannique prenaient d’assaut une petite maison un peu plus haut dans cette même rue, domicile vers lequel se dirigent en toute insouciance (en toute innocence aussi) Faysal et sa chèvre. De nationalité pakistanaise, c’est là que depuis quelques mois vit cet homme en attente des papiers pour pouvoir enfin habiter sur le sol de la « perfide Albion », en toute sérénité espère-t-il. Chez son épouse. Enfin, disons plutôt accueilli chez sa cousine compatissante (et surtout obéissant à la sacro-sainte autorité paternelle) qui a contracté avec lui un mariage de convenance. La belle Yasmin, la véritable héroïne du film, qui ne souhaite que s’européaniser, quitter son voile islamique pour vivre sa vie et le retrouver pour aimer son père et les siens, en constant grand écart entre sa tradition familiale et ses aspirations intimes à la liberté, Yasmin sait qu’elle divorcera… Et lui, Faysal, il imagine, il rêve d’autres choses, toutes simples, telles que celles qui lui sont dictées par sa culture villageoise qui ignore tout de notre « modernité », il rêve de devenir le véritable époux respecté de sa belle cousine. Mais en attendant, Yasmin a été arrêtée en compagnie de son petit frère, de son père, de voisins, otages des croisés anti-Ben Laden de banlieue. Et là, le Ben Laden de banlieue, impossible de discerner qui il est, de Faysal ou de Hannah, tant le mimétisme est criant, criant cette même innocence de l’homme et de l’animal. Sans rien comprendre de ce qui se passe autour de lui, il se jette dans la gueule des loups en uniformes. Les tenants de l’ordre sécuritaire, en ce onze septembre-là, ont atteint au « ground zero » de l’intelligence civilisatrice. La chèvre n’aura pas eu besoin de casser sa corde pour courir au devant de la mort annoncée, les tours jumelles se sont effondrées en direct et des milliers de fois sur des millions de postes de télévision devant des milliards de regards aussi effarés que ceux de Faysal. Que lui est-il arrivé ? Comprendra-t-il jamais ?
Des silhouettes efflanquées flottant dans leur djellaba, la même barbe au menton que celle de leur chèvre, on n’en sourira plus. L’innocence leur est désormais interdite dans les rues de Londres et de tout l’occident où les Croisés de l’horreur impérialiste affirment que Dieu bénit leurs verts billets de banque. Ce même vert couleur de la foi de Mahomet en pays d’Islam. La peur est de retour. Yasmin exhibe dorénavant et avec ostentation son voile communautariste… John épousera sans doute une rousse ou blonde anglaise. Nasir, le petit frère, est parti défendre Jérusalem contre les Croisés qui ont tout cassé chez lui. Khalid, le père si fier et si digne, se consume d’une honte inextinguible. Et Faysal ? Où est donc passé Faysal Hussein ? Jusqu’à Bayonne, sa djellaba est aussi suspecte de toutes les terreurs. Par la faute à qui ? Aux guerres de religions ? Aux chocs des civilisations ? Au cumul insensé de toutes les déraisons humaines ? C’est ce que nous dit, ce que nous montre le superbe film de Kenneth Glenaan. Moi j’ai bien une autre idée, mais, bon, Yasmin est si belle ! En plein deuil ostentatoire de la Laïcité, j’avoue regarder désormais avec comme de la tendresse ce voile censé souligner la pudeur des musulmanes, si belles, si dignes, si intelligentes. Même si, toutes les religions me font plus peur que jamais, après ce si beau film, je veux faire preuve du courage nécessaire pour accepter (et pourquoi pas aimer) les différences. Au moins le temps que la cendre et les fumées se dispersent dans un souffle d’humanité, tout simplement.
Robinson Crusoé
23:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
franchemen
Écrit par : faysal | mardi, 24 janvier 2006
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