Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Merci de nourrir les poissons en mon absence

« La Horde Sauvage | Page d'accueil | Decazeville fête toutes les langues : »

mardi, 28 juin 2005

Breizh Euskal Herria*

Ils ont des chapeaux ronds

Vive la castagne !

Ils ont des chapeaux ronds

A bas les matons !



Quel âge avais-je quand je chantais cette rengaine dont, je le parierais, vous aussi, maintenant, de toute la journée, vous au- rez du mal à vous défaire ? Dix ans ? Douze ans ? Avec le recul et en tentant de me re-figurer du plus précisément que je peux ma conscience de l’époque et la culture rebelle qui pouvait être la mienne, au tout début des années 70, il m’étonne tout de même beaucoup que j’aie pu réellement comprendre ce que je chantais. Parce que je comprenais ce que je chantais, ça j’en suis certain ! Quoique ne connaissant absolument personne ni dans ma famille ni dans le voisinage qui fut allé en prison, je savais pertinemment ce qu’était un « maton » et je puis même affirmer que, dès ma prime enfance, le nom de la «Villa chagrin» m’était familier.


Ils ont des chapeaux ronds

A bas les cur’tons !



Ça aussi je le chantais, vers le même âge, mais encore plus souvent à tue-tête. Je devais même carrément le crier, le hur- ler, je me connais, mes colères comme mes passions, j’ai be- soin de les cracher à la face de l’humanité toute entière, tout du moins je me figurais pouvoir le faire au quartier Fargeot. Tout fier d’avoir enfin compris que les curés c’était les méchants, ce «cur’tons» je le criais chaque fois à m’en faire péter les cordes vocales. Treize ans pas douze, je devais avoir treize ans.




Ils ont des chapeaux ronds

A bas les Bretons !



Ça aussi je l’ai chanté. Et je ne comprends toujours pas pour- quoi tellement, les Bretons, la Bretagne, tout du moins le nom de Bretagne et puis, pas les chapeaux ronds mais les coiffes, les hautes coiffes de dentelle des vieilles Bretonnes faisaient partie de mon décors. C’est con un gosse ! Le pire c’est que j’avais vu, pendant des années, tous les mercredi, le gwen-ha-du au mur de la salle à manger de mon copain Jean-Michel avant même que d’imaginer l’existence de l’ikurrina. Au quartier Fargeot, au moins la moitié des femmes travaillant dans les conserveries de poissons étaient venues de Bretagne. Et puis les Portugaises, moins nombreuses que les Bretonnes, on disait aussi Bigou- dènes, mais une colonie conséquente tout de même. Et puis les frontalières, celles qu’on appelait les Espagnoles, celles qui tra- versaient la frontière à Irun tous les jours pour aller travailler, gagner leurs pesetas, à mobylette ou en train, combien étaient-elles ? Leur nombre fluctuait vraiment beaucoup, si je me sou- viens bien, suivant les époques sans que je ne comprenne jamais pourquoi, ni ne me pose la question, d’ailleurs. Mais elles pouvaient être vraiment très nombreuses, souvent même les plus nombreuses. Il y avait même certaines conserveries où le personnel de la chaîne était exclusivement constitué de fronta- lières, chez Arcoès si je me souviens bien. Je ne suis pas sûr. Ma mère, elle, travaillait chez le maire, le maire de St Jean de Luz je veux dire. A SO.LU.CO il y avait nettement plus de Bas- ques qu’ailleurs, on disait Basquaises à l’époque, mais elles n’é- taient vraiment pas très nombreuses. On n’entendait pas beau- coup parler basque à la sortie de l’usine de ma mère quand j’al- lais la chercher à la fin de son travail. Une petite poignée de fil- les de la campagne comme elle, venues d’Ascain, St Pée sur Nivelle, Urrugne, parce qu’elles s’étaient mariées à la ville, comme on disait encore au début des années 70, parfois même avec des Bretons, des pêcheurs, dans tous les sens du terme probablement et du coup devenaient pécheresses.




Ils ont des chapeaux ronds

Et moi un béret à la con !



Ma mère, elle, je le jure, n’aura jamais encouru l’excommunica- tion. D’ailleurs, grâce à la puissance de sa foi je peux me van- ter, à la face du monde, d’être aussi basque que le meilleur des ardi gasna, 100 % basque. Bon, les Bretons sont fiers aussi, et têtus, alors… «Ils ont des chapeaux ronds, vive la castagne, ils ont des chapeaux ronds, à bas les Bretons», étrange rengaine qui me sonne douloureusement au lendemain de la clôture de ce procès à Paris. Le procès de la «solidarité» entre Basques et Bretons, et vice versa. Entre 2 et 20 ans de prison pour les 14 co-inculpés dans l’affaire dite de Pléven. Vingt ans de prison pour un vol d'explosifs, no coment. Je n’en étais pas, des co-inculpés, des co-condamnés je veux dire. J'en bégaie. Jean-Michel, «vive la castagne !», il n'en était pas non plus. J'aurais reconnu son nom dans les journaux, c'est sûr. Qu’est-il devenu, d’ailleurs, Jean-Michel ? Plus tard, adulte, jeune adulte, il était devenu boulanger, il travaillait de nuit, beaucoup, trop. Il se faisait exploiter que c’est pas croyable ! «à bas les Bretons !» Cette rengaine à la con, c’était nos aînés qui devaient la chanter et qui nous l’ont transmise. Jusqu’au début des années 60, au quartier Fargeot il y avait deux bals les samedis soirs. Le bal des xuri et le bal des gorri, ça se mélange pas les blancs et les rouges. Et si ça se rencontre, forcément, c’est la castagne… Vive les Bretons ! Vive la castagne ! Au quartier Fargeot aussi, fils de Basques et fils de Bretons, nous avons traversé des océans ensemble, nous avons rêvé ensemble, de jolis rêves en vert et rouge et en noir aussi, «ils ont des chapeaux ronds, à bas les matons !»

Le plébéien bleu

* Bretagne Pays basque

Les commentaires sont fermés.