Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Merci de nourrir les poissons en mon absence

« Le cadeau du Carnet bayonnais | Page d'accueil | Elections législatives à Bayonne »

dimanche, 06 mai 2007

Trêve de comptoir

 
Français par défaut
 
medium_le_balto_370.jpg

 
L’heure apéritive est parfois propice à la réflexion citoyenne, surtout a posteriori. Et encore davantage les jours d’élection présidentielle. Là, tout à l’heure, je suis allé voter, c’est qua- siment un aveu. Aveu d’inhibition, l’esprit pas vraiment purgé de cette rancœur démocratique que je ne parviens pas à expliquer (et encore moins à partager). Mon devoir bâclé, en passant devant Le Balto, je ne sais pas pourquoi, ce n’est pas, ce n’est plus depuis longtemps dans mes habitudes, j’ai eu envie d’entrer, de pousser cette porte vitrée, de franchir le Rubicon qui me sépare des rubiconds. Le pire étant accompli, je suis entru, je me suis assu au comptoir  et j’ai commandu, un demi. C’est ma tournée, qu’il a dit le type rougeaud derrière le distributeur de cacahuètes. Il y avait deux autres types avec lui, moins rougeauds mais plus âgés, peut-être. Ils arrosaient les élections certainement, que je me suis dit et que je leur ai demandé. Ben non, c’est ma fête, qu’il a répliqué l’empourpré définitif, esquissant un sourire. Alors j’ai esquissé aussi, ses copains ont franchement rigolé et on a trinqué à la santé de tous les Prudence, qui est un prénom masculin insuffisamment populaire de nos jours.


C’est la patronne qui a relancé avec son sondage «sortie des urnes». Vous avez voté pour qui, qu’elle m’a demandé, vous avez l’air d’un royaliste vous, je vous vois souvent entrer à l’Atalante. Les types du comptoir se sont marrés à l’unanimité sauf une voix, l’érubescent majeur. Non, moi je suis plébéien, que je lui ai répondu du tac-au-tac, et les aristos je les sus- pends à la lanterne sans sommation, que je lui précise dans un éclat de rire de circonstance, prenant carrément la cantonade à témoin. Flop. Tous les yeux se sont agrandis, les rictus se sont fermés et les bouches sont demeurées muettes, sauf celle du cramoisi qui, lui tout sourire maintenant, s’est proclamé fier d’être gascon et de gauche. Grosse poilade communicative, les apéros du Balto sont connus pour ça. Robert est un pince- sans-rire, c’est Josette, la patronne, qui me le confirme en remettant sa tournée. Et moi de m’excuser, un bock ça ira, ma compagne m’attend pour manger, merci… en fait je suis allé voter pour un ami… il est en vacances, en voyage, au soleil, il en a de la chance, lui… je suis allé voter à la Mairie, pour lui, alors que moi, normalement, je vote là juste à côté, à Jules Ferry… il m’a donné sa procuration… tout le bistrot fait silence dans l’attente de ma révélation, comme si l’avenir du quartier St Esprit en dépendait… j’ai mis mon bulletin… euh, son bulletin Ségolène Royal dans l’urne… pour mon ami… pas très original, plein de gens ont sûrement fait la même cause… euh, la même chose, que je me mets à bafouiller, peut-être même que ce sera ma voix, enfin plutôt sa voix qui fera basculer le scrutin… peut-être… les rires reprennent mais là je ne sais plus du tout pour quoi. Il y a tant de raisons au cynisme !

Josette calme tout à coup les sarcasmes, pour ne pas dire pire, en se vantant d’avoir voté Sarko. Les trois trinqueurs ânonnent leur réprobation, entonnent un pot-pourri de Marseillaise, d’In- ternationale et d’hymne de la Peña Baiona, s’essoufflent, régur- gitent, boivent un coup, allument des clopes, marmonnent un reste de ressentiment ponctuel, et puis déconnent à nouveau, comme si l’avenir de leurs enfants en dépendait. C’est la vie, que je me dis... Et les heures supplémentaires, hein, c’est plutôt bien de vouloir les encourager, non ? Les gens, les salariés ont besoin de fric, c’est normal que ceux qui veulent travailler gagnent mieux leur vie que les fainéants ! Josette martèle là toute sa détermination sociale en escomptant un KO debout. Plus personne ne rit, les verres se vident d’un trait. La bou- langerie en face va fermer. Le bureau de tabac aussi. Les ur- gences sont ailleurs, dorénavant. Robert complètement conges- tionné semble pourtant seul apte à relever le défi de la gargo- tière. Il s’esclaffe désormais sans écho, comme au milieu d’un champ de bataille déserté. Il factionne la vieille garde ouvrière tout seul face au grand patronat coalisé derrière ses pompes à bière. Tout ça c’est des foutaises, qu’il rameute en vain, notre rouget des îles. Des heures supplémenteurs, oui, c’est ça qu’il veut ton Sarko. Du travail sans cotisation sociale et sans décla- ration sur le revenu, c’est du black. Tes heures supplémen- taires, c’est du black, voilà, de l’économie parallèle, du marché noir, du foutoir organisé. En plus, comme rien n’est déclaré, tu pourras enfler ton marmiton jusque profond en lui faisant faire soixante heures par semaine payées quarante. Et il pourra que fermer sa gueule, le gueux. Ce qu’il fait déjà, d’ailleurs… Et que tu ferais mieux de faire aussi, Robert, et tout de suite encore, si tu tiens à conserver une ardoise ici.

L’uppercut a porté. Le menton du mentor révolutionnaire s’est affaissé. Ses yeux se ferment sur une énième défaite. Le vieux coco sourit tristement, les bras ballants, les poings comme définitivement ouverts par l’impuissance et la peur. La face si vilement moins rouge, il a encore perdu la guerre à la première escarmouche. Et moi je pleure de solidarité, solidarité de classe bien sûr. Je ne sais que l’inviter discrètement à se réfugier avec moi à une table, pour continuer à se fêter Prudence… Je m’ap- pelle Robert, Robert Ricau et j’ai bien peur que ça sera pas ma fête aujourd’hui. La prudence est responsable de toutes nos démissions, disait monsieur Hontas, et moi je n’ai jamais rien compris aux dictons.

Je suis basque et de gauche, que je lui ai confessé, au Robert, benoîtement, une petite heure et pas mal de bocks plus tard. Ses yeux albinos ont cligné : un coup, j’te vois, un coup, je veux plus te voir. Moi je le fixais, espérant je ne sais plus quel sursaut de fierté de sa part. Il a jeté un œil à l’écran plasma au fond du bar, illusoirement, sans réussir à le casser. Et puis, un bref instant, il s’est aventuré à soutenir mon regard, avec com- me du vide dans le sien. Indéfinissable aspiration, inspiration, respiration. Je suis de gauche comme toi, camarade, commu- niste et un peu libertaire même. Et basque… La mèche a pris. Il s’est gratté la gorge du temps qu’elle se consume jusqu’au baril de tous le excès, et il m’a intimé l’ordre de me taire, comme si sa vie en dépendait. Alors ça veut dire que toi t’as pas voté, hein, parce que tu te sens pas concerné, c’est ça ? Ouais, t’es pas français, c’est pas ta merde, qu’il s’est énervé le Bébert, tandis que le comptoir philosophait désormais à propos des matchs de foot de la soirée. Les Basques, ils sont tous de droite, tout le monde le sait, me raconte pas des conneries… ou alors ils posent des bombes et ne votent pas ! Moi je dis que ça revient au même que s’ils votaient Le Pen, tous les Basques, abertzale, enbata et companie. Tous des fachos !...

Oh-oh ! tu exagères, mais peut-être que finalement t’as raison, que j’ai quasiment acquiescé. Des fachos, des réacs, des collabos, y’en a beaucoup au Pays basque… Mais je suis pas sûr qu’ils sont tous basques. Je suis même convaincu qu’il y en a un régiment chez les anti, chez les anti-basques… Les fachos anti-basques assassins qui ont soutenu le GAL par exemple… Tu te souviens du GAL ?... On pourrait s’imaginer qu’à ce stade, je suis en train de hurler, que je fais des moulinets menaçants avec mes poings fermés. Pas du tout. Je suis plus calme que je ne l’ai jamais été. Moi je chuchote, et lui il marmonne mainte- nant son reste de colère dans son verre. Combien un chuchote- ment déterminé peut forcer l’attention et donc le respect, c’est vraiment édifiant ! Tu vois Robert, en fait, basque, ça n’existe pas en vrai. Ce n’est pas une nationalité. Pas une nationalité reconnue, je veux dire. Un peu comme la Gasconnie, la Basconnie n’existe pas. Alors, les Bascons, ils sont, nous sommes comme des cons. Sans pays à nous avec des vrais morceaux d’urnes dedans et des bulletins de vote marqués «République basconne», ça rime à rien de se dire basque puis- qu’on ne peut même pas le prouver.

Y’a pas de carte d’identité basque ! Pas de vraie, je veux dire, pas de papiers d’identité nationale basque validés par l’ONU. Ni le Petit Robert, croit-il bon de souligner… et c’est bien dommage pour toi, mais je ne me laisse pas distraire. Par contre, j’ai une carte d’identité française en bonne et due forme avec la carte d’électeur qui va bien. Tiens regarde, il y a même le tampon à date qui prouve que j’ai bien voté aujourd’hui… et le 22 avril aussi. Non ! qu’il s’exclame, subjugué. Ben oui, mon poteau rose, je suis citoyen français. Tout comme toi, autant que toi, ni plus ni moins, pareil. Liberté, égalité, fraternité, on est tous égaux et frères en république et libre aussi, en théorie. Mais je suis seulement libre d’être français, une liberté que je n’ai pas choisie mais dont je veux tout de même jouir, y compris par mon droit de vote… tout du moins tant que je n’aurai pas d’ autre choix. Ouais, le beurre et l’argent du beurre. Tu es bas- que en surplus, le basque c’est comme le breton, du facultatif en France…

Robert ne marmotte plus, il murmure pour ne se faire com- prendre et bien comprendre que de moi seul. Je n’en reviens pas, un Gascon qui cite les Tri Yann, à sa sauce bien sûr, mais la référence y est, la découverte ou l’ignorance, la fin des années 70, il y a mille ans… Ouais, tout juste mon coco Ricau, si je suis basque c’est par choix, c’est mon choix et ça pourrait tout autant être le tien ou celui de quiconque voulant vivre en Pays basque. Un choix individuel, personnel. Il suffira qu’un jour plus personne ne fasse ce choix d’être basque pour que le Pays basque n’existe plus, c’est le pari des anti-basques. Pas le mien, je n’ai rien contre les Basques, qu’il m’affirme, solidaire et toujours sur le ton susurré de la conviction, mon Bébert Ier de St Esprit.  Je te crois, camarade gascon, d’ailleurs, ce choix, c’est en le collectivisant qu’on sauvera peut-être la basquitude et les Basques. L’autodétermination, c’est ça qu’il nous faut, aux basques et aux gascons de St Esprit. L’autodétermination et l’autonomie…

On a arrosé ça, encore et encore, nous les Français par défaut, en attendant les résultats. Pour finir de noyer la Prudence et notre peur des lendemains sarkoziens, on s’est fait mettre à la porte du Balto. Sur le gris boulevard qui mène de la gare à la prison, on a déambulé.

 

Le plébéien bleu

 

PS. Je n’ai évidemment pas avoué à Robert que, ce dimanche, pour la première fois de ma vie, et pour une élection prési- dentielle… j’ai voté François Mitterrand. Ne me félicitez pas, j’ai perdu !

Commentaires

A la santé des trois Jean

Écrit par : Prax | mardi, 08 mai 2007

Tu aimerais que je mette La Jument de Michao sur ma page d'accueil ? q:o)

Écrit par : le plébéien bleu | mardi, 08 mai 2007

Oui, car on n'entend plus l'eusko gudariak

Écrit par : Prax | mercredi, 09 mai 2007

Un peu de silence ne nuit pas au repos des esprits, me dit-on.

Écrit par : le plébéien bleu | jeudi, 10 mai 2007

Quel plaisir de lire ce texte, plébéien !
Deux interrogations :
Ils ne font donc pas d'heures sup au Balto ?
T'as mangé froid ou glacé ?
biz à ta muse

Écrit par : pascale | lundi, 28 mai 2007

Très chère Pascale,
Vraiment très heureux de te retrouver sur mon si joli blog tout bleu.
Mais, euh, pour répondre à ta double interrogation, eh bien, il y a au moins 2 versions possibles : la vraie, la fausse ou l'imaginaire, quoi, et tout plein d'interprétations intermédiaires à prétentions plus ou moins littéraires. En fait, toute cette histoire de dimanche électoral à St Esprit, ce n'est rien que la métaphore de ce monde où les gens ne se nourrissent que de haine et de bière fraiche. Ce monde où, finalement, les lendemains qui chantent ont la gueule de bois. Et vice versa.
Biz à toute la tribu.
Vous passez à la maison quand vous voulez q:o)

Écrit par : le plébéien bleu | lundi, 28 mai 2007

Les commentaires sont fermés.