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samedi, 26 janvier 2008
Chroniques débaillonnées
et des Bayonnaises :
Amatxi Da Silva
Je m’appelle Bertrand, Bertrand Berria, mais je me fais appeler Pet- tan*. Depuis plusieurs années, je vis au quartier St Esprit, à Bayonne, et m’y plais plutôt bien. L’an dernier, j’ai déménagé intra muros spiritains pour occuper l’appartement contigu de celui de madame Da Silva, rue de l’Este. C’est ici, au 17, d’où je vous écris cette petite chronique, que se trouve désormais, et pour toujours j’espère, mon nid douillet de la rive droite. Je n’en- tends plus le quitter sauf cas de force majeur, comme on dit, pour fuir la guerre des civilisations si jamais ils finissent par la déclarer, par exemple… et sauf pour aller au boulot, ce qui représente à mes yeux la pire des barbaries ordinaires que l’on m’ait jamais imposée, puisqu’elle est quasi quotidienne et sans horizon de libération visible. Bref, madame Da Silva, elle, je la vois tous les jours, plantée sur sa passerelle, comme pour me surveiller alors qu'en fin d'après-midi je gare ma moto sur le trottoir.
Elle ne m’avait plus jamais adressé la parole, madame Da Silva, depuis son étrange cadeau de bienvenue : une demi-douzaine de baguettes rassises dont elle ne voulait plus. Madame Da Silva ne parle plus. Ni bonjour ni rien. Parfois un signe de tête surligné d’un regard noir qu’elle pose sur toute l’humanité, probablement sans exclusive. Il parait que madame Da Silva a toujours été une mamie acariâtre, même quand ses enfants étaient petits. C’est le carrossier du bout de la rue qui me l’a racontée, son histoire de virago domestique veuve à vingt-cinq ans et jamais remariée. Un demi-siècle de haine universelle concentrée dans un petit bout de moins de cin- quante kilos de femme. Alzheimer, c’est sûr, n’a pas adouci son caractère, il n’y a pas de raison, au contraire. Ce n’est pas madame Araujo, son aide à domicile, qui me contredira, car, elle, doit subir professionnellement ses incessantes provoca- tions. Hier encore elle se plaignait à la voisine d’en face, madame Rivière, de devoir de plus en plus souvent rechercher dans le jardin les couverts pour le déjeuner. Je l’ai aidée à reconstituer le puzzle désolant d’une dizaine d’assiettes, donc, je sais qu’elle n’exagère pas. Madame Da Silva est une vraie teigne et j’ai toutes les peines du monde à éprouver la compassion que devrait m’inspirer sa terrible maladie. Parfois il m’arrive de penser à sa fille qui est si sympathique et coura- geuse mais ne peut malheureusement s’occuper davantage de sa vieille maman. Et si je tente de m’identifier à son fils, cela devient tout de suite insupportable, alors, en rentrant du boulot, je réponds généralement à ses vagues attaques silencieuses par un tonitruant « bonsoir amatxi ! ». Si elle ne dit jamais rien, madame Da Silva, elle comprend tout, et même quelques mots basques, je pense. Tout à l’heure, dans mon dos, elle a baragouiné quelque chose, oui, elle a prononcé des mots à mon adresse, j’ai cru entendre deux mots, « châle hussard », une insulte très certainement.
Et là ça me turlupine… son insulte. Elle a dû vouloir dire «sale» quelque chose. «Sale hasard» plutôt. Oui c’est ça, elle m’a traité de «Salazar». Madame Da Silva est portugaise, émi- grée de la première génération, assurément groupie du dicta- teur lusitanien oublié… oui, je l’ai vu dans un documentaire à l’Autre cinéma, toutes les femmes portugaises étaient «amou- reuses» d’Antonio Salazar… Alors ça ne serait peut-être pas une insulte ? Peut-être un compliment même ? Peut-être ?... Ou non… oui, une injure, une bravade salazarophile ou un défi fascisant !... Elle doit savoir que je vote à gauche, la vieille mégère, elle sait en plus que je suis basque… Et elle doit voter très exactement le contraire, à l’opposé, aux antipodes de mes convictions politiques. Elle doit voter Grenet, ou pire, elle s’apprête à voter pour Ugalde le dur de la feuille !
J’ai toujours entendu dire que les vieux des maisons de retraite votent à droite, à St Jean-de-Luz, à Biarritz, à Bayonne… parce que de très civiquement attentionnés édiles les envoient chercher, les jours d’élection, avec le minibus du centre social, pour les conduire, après un copieux goûter citoyen, jusqu’au rideau de l’isoloir où, tout sourire, quelque adjoint assesseur serviable les aide à glisser le bon bulletin dans l’enveloppe, puis dans une urne si transparente qu’on en devinerait presque son contenu de petits mots cratiques… Oui, euh, peut-être qu’on raconte les mêmes histoires à Boucau, à Tarnos, à Hendaye… Peut-être !
Faut que je me calme, c’est le week-end, repos et sérénité au cœur de Bayonne, la campagne des municipales commence à peine. La première mi-temps scrutatrice, c’est pour dans six semaines. Cet après-midi, l’Aviron jouera à Montpellier, moi j’irai à Hendaye, manifester avec la CIMADE contre le nouveau camp de rétention. Madame Da Silva promènera son chien pour mettre en fuite tous les chats du quartier.
N’empêche que, le vote des personnes séniles, c’est une vraie question.
Oui, faudrait quand même que je lui parle, à amatxi Da Silva… Que je lui demande si elle était vraiment amoureuse de Salazar… et que je lui propose de l’accompagner jusqu’au bureau de vote.
* prononcer "pétyanne"
12:30 Publié dans campagne Municipales 2008 du plébéien bleu | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
aitatxi pettan, c'est mignon aussi
Écrit par : Prax | dimanche, 27 janvier 2008
Les commentaires sont fermés.