mardi, 29 mars 2005
Le cauchemar de Darwin
Cela aurait pu être un «documentaire de plus» sur l’Afrique, le sida, la malnutrition, l’exploitation des famines, les enfants errants, sur les dégâts collatéraux de la mondialisation quoi ! Sur les guerres et ceux qui en vivent, le commerce des armes, l’exploitation de toutes les misères du monde et j’en passe des ressassées mais néanmoins plus dérangeantes que jamais. Là je pense à certaines réactions de spectateurs (les désabusés chroniques sont encore largement minoritaires heureusement) à la sortie de la soirée de vendredi dernier au cinéma l’Atalante de Bayonne : «le film ne nous apprend rien, tout cela on le sait déjà». Peut-être. Mais alors quel aigre constat d’échec, d’impuissance face à la misère du monde, à l’exploitation et à toutes les injustices ! Alors dans ce cas, à quoi bon continuer d’aller au ciné, à quoi bon allumer sa radio ou sa télé (à ce propos, saviez-vous que, du 2 au 9 avril, une semaine sans télé est organisée par les antipub ?… mais là je digresse), à quoi bon surfer sur internet pour s’informer tous azimuts sur la complexité du monde, à quoi bon ouvrir tous les jours son journal, à quoi bon s’abonner à Ekaitza ? Bref, apparemment je n’ai pas vu le même film que ces incorrigibles je-sais-tout. Cet admirable documentaire n’a pas été primé partout par hasard. Je me permets de le souligner même si le plus souvent je ne me limite pas aux recommandations des «experts». Son tout autant génial que quasi-inconnu réalisateur autrichien, Hubert Sauper, nous offre probablement là son œuvre la plus marquante. Dérangeante. Explosive. Moi qui me targue d’être plutôt blindé et peu impressionnable, j’ai pris un grand coup de poing dans l’estomac, à l’instar des près de 180 personnes présentes dans la salle ce soir-là, un uppercut précis et très appuyé à l’épigastre qui m’a complètement coupé le souffle et secoué les neurones dans le sens où ça rend intelligent et hypersensible. Il m’aura fallu du temps pour recouvrer mes esprits après ce si violent choc des images, pour savoir redonner tout leur vrai poids aux mots qui expriment les maux, mais ça revient, la conscience surnage après ce tsunami d’émotions fortes et autour de la bouée nous sommes des dizaines et des dizaines, tous les spectateurs témoins et désormais acteurs de cette exceptionnelle soirée inventée par la révolte de Ramuntxo (irremplaçable directeur de l’Atalante et de l’Autre cinéma). Le titre en français tout comme l'affiche du film.jpg expriment du plus clairement qu’il soit le cauchemar dont il nous faut sortir, la spirale infernale qu’il nous faut enrayer. Nous tous, spectateurs-citoyens du monde, nous voici à notre tour révoltés. Et putain que ça fait du bien ce genre de révolte-là où on sent que l’on peut faire quelque chose, que l’on doit faire quelque chose ! La perche du Nil ? Vous avez entendu parler de la perche du Nil ? Non ? A l’étal de votre poissonnier, dans votre supermarché, il y en a partout, c’est pas cher du tout, et très bon parait-il. Il n’y a pas d’arêtes (vraiment génial pour les enfants, donc) et sa chair tient idéalement à la friture sans avoir besoin de fariner. La trouvaille génétique du siècle, en plus ça permet de faire vivre ces pôvres petits Africains… A part que, hum, c’est la pire saloperie qui soit, le truc à boycotter de toute urgence, à vomir dans l’instant si il vous en reste dans l’estomac. La campagne de boycott est déjà lancée, des responsables de supermarchés de la côte ont déjà consenti à la retirer de leurs rayons. Nous ne pouvons pas accepter que L’Europe des marchands organise ce deal de l’enfer : des armes et la mort pour les enfants de l’Afrique contre des poissons prédigérés pour les nôtres. Ce film, il faut que nous soyons un maximum à le voir. Classé par son directeur comme «documentaire d’Utilité Publique», l’Atalante le programmera encore plusieurs semaines, ne le loupez sous aucun prétexte et surtout, parlez-en autour de vous !
Robinson Crusoé
18:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 25 mars 2005
Western indomptable
Grosses vestes et casquettes de cuir noir, très connotés States des années soixante, deux cops très ordinaires manifestement, très blancs et transpirants, bondissent d’une jeep qui vient de s’arrêter dans un nuage de poussière grise face à un rocher barrant le chemin à peine carrossable pour ce véhicule dont la modernité, quarante années plus tard, nous étreint de nostalgie sur pellicule monochrome. D’un geste large et symétrique, franchement coordonné par la mise en scène, chacun lance au loin, de part et d’autre de cette frontière, une si symbolique et envahisseuse canette de coca-cola. La traque est lancée. Le fugitif court dans la montagne : un cow-boy, un vrai de vrai, tirant derrière lui une si sauvage et magnifique jument noire à la longue crinière blanche. Un authentique cow-boy, symbole universalisé de l’Amérique et de son rêve de liberté individuelle sans entrave. Le dernier cow-boy très certainement. Le dernier homme résolument libre d’une époque révolue… En gros plan sur l’écran géant, c’est bien sa fossette au menton devenue mythique. Ses yeux lumineux. Qui mieux que lui aurait pu incarner ce rêve désespérément en fuite ? En embuscade, son fusil winchester vise le rotor de l’hélicoptère qui cherche à le débusquer. L’oiseau de malheur et d’acier est touché, le rêve perdurera encore quelques minutes dans ce ciel si bleu et si pur en noir et blanc, quelques minutes encore avant d’être assassiné par le « progrès » qu’on n’arrête pas, effacé du macadam par une pluie torrentielle. Kirk Douglas ne se rendra jamais, c’est lui l’insoumis, celui qui refuse toutes les barrières dans la prairie tandis que des avions à réaction tracent les nouveaux barbelés dans leur sillage stratosphérique… Confortablement enfoncés dans nos fauteuils, nous venons de franchir avec eux le sas intemporel entre le monde des camions et des autoroutes… et le Western. Oui, nous voici en plein Western majuscule. Tout est atypique et paradoxal dans ce film… dans ce chef d’œuvre.
Je me souviendrai longtemps aussi de ce shérif entre deux époques qui, entre l’ordre des commerçants et des juges et la liberté d’un chient errant, choisira de sourire encore à la « déraison ». Merci Monsieur Walter Matthau. Merci Monsieur le lonesome cow-boy, merci Monsieur Kirk Douglas pour ce superbe et inoubliable western pour lequel vous vous êtes tant battu.
Même si Acme l’aura emporté à la fin, provisoirement me plais-je à affirmer, par défi, merci Ramuntxo, merci Guy*, votre cinéma continuera encore longtemps de nous offrir espoir et beauté. Un grand film ça ne se raconte pas, ça se voit et ça se revoit.
Robinson Crusoé
* Guy, distributeur des films Actions Gitanes qui nous a déjà offert Le Tramway nommé désir et Reflets dans un œil d’or… et offrira encore aux spectateurs de l’Autre cinéma, nous l’espérons, de nombreux joyaux cinématographiques.
13:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
Omagh, victimisation...
...et bons sentiments
Après plus d’un quart de siècle d’un conflit politique «inex- tricable» exacerbé par l’occupation militaire britannique, pour la première fois, tous les principaux belligérants se sont engagés depuis quelques mois dans un réel et crédible processus de paix … peut-être même se reprend-on à rêver d’insouciance jusque dans les rues commerçantes d’Omagh, en Ulster. Il est 15 h 10 ce 15 août 1998 lorsqu’une voiture piégée explose au milieu de la foule. Vingt-neuf morts. Des centaines de blessés. De loin le plus sanglant attentat perpétré par la résistance irlandaise. Oui, en effet, c’est une fraction dissidente de l’IRA (manipulée par les services secrets selon certaines sources) qui revendiquera l’action meurtrière et par la même signera son arrêt de mort politique (celui de la dissidence), sans heureusement parvenir à faire tout de suite condamner l’espoir d’une solution pacifique. Voici pour le contexte historique qui inspire l’œuvre cinématographique, Omagh, le film de Pete Travis actuellement diffusé au cinéma l’Atalante de Baiona. Un film « poignant et essentiel » affirme la Gazette de l’Atalante. Peut-être presque trop « poignant et essentiel » même, tellement l’adhésion totale et entière du spectateur semble évidente, inévitable, quasi-obligatoire sous peine de Dieudonnéisation (autre manière moderne de l’excommunication) du critiqueur. Omagh, le film, aux yeux de ce critiqueur-là, s’avère avant tout une construction artistique de très grand talent pour déconstruire les fondements de la Justice dans une société où le droit des victimes devient désormais une religion. Religion qui, bien sûr, a su bannir la vengeance de son dictionnaire politiquement correct. Mais qui, avec Michael Gallaguer (le père d’une des victimes, président « admirable » de pondération de l’association des victimes) réclame «la mise hors d’état de nuire des responsables de l’attentat, de leurs financeurs et de tous ceux qui les soutiennent, de près ou de loin» au nom d’une certaine vision de la justice (sans plus rien de majuscule désormais)… qui ressemble quand même beaucoup à certaines « chasses aux sorcières » menées en Euskal Herri par un certain Balthazar Garzon au nom d’une semblable «justice-aux-victimes». Paul Greengrass, le réalisateur de Bloody Sunday, précédente «oeuvre de mémoire» toute aussi «poignante et essentielle» (film désormais culte à l’instar de la chanson de U2) a co-écrit le scénario d’Omagh. En osant critiquer celui-ci, donc, on devrait se souvenir avoir encensé (ou presque) celui-là. Mais il est cette fois une différence essentielle entre les deux traitements d’une même poignante «œuvre de mémoire», les «assassins» désignés (et leurs complices) n’ont cette fois plus le droit de se défendre par le biais de l’alternance des images de reporter caméra à l’épaule. C’est ainsi que Greengrass se met cette fois à déconstruire la Justice tout en prétendant seulement rechercher la vérité aux côtés de son héros « justicier ». En filigrane, le critiqueur que je suis a même cru comprendre que le processus de paix pourrait être l’empêcheur de rendre la justice en rond de jambes aux victimes que, potentiellement, parait-il, nous pourrions tous être. Et la boucle est ainsi bouclée sur la plus cinématographique des politisations sécuritaires…au nom de la justice : Sympa Trique serais-je tenté de conclure à l’irlandaise.
Robinson Crusoé
09:15 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)