samedi, 21 mai 2005
Mi Piace Lavorare
Film assez exceptionnel mais aussi très contrasté que j'ai vu hier soir à l'Atalante, soirée-débat en ouverture du Forum social Pays basque.
Le film est exceptionnel disais-je, car il aborde un sujet bien plus que digne d'intérêt : le "mobbing" ou "harcèlement psychologique au travail". Quasiment inédit au cinéma je crois. La victime ici, personnalisée par Nicoletta Braschi (interprétation plutôt très mesurée et délicate, un peu trop peut-être), est une femme vivant seule avec sa fille. Victime plutôt emblématique d'une évolution socialement déstructurante de nos sociétés. Le sujet est vraiment passionnant et le débat qui s'ensuivit à l'issue de la projetion aussi. Le film est tout à fait juste en ce qu'il montre que le harcèlement moral est désormais devenu dans nombre d'entreprises (et pas seulement des grandes) une méthode de "management". Il est tout aussi juste dans le processus de destruction de l'héroïne que dans sa résitance individuelle qu'il décrit assez bellement... mais de manière trop lente... beaucoup de scènes sont inutiles (pourquoi nous montre-t-on le vieux en train d'écrire sur la fenêtre? et tant d'autres...) On n'explique pas non plus les raisons du revirement du comportement des gens. Dommage. A mon sens, le scénario comme la réalisation ont été un peu baclés. Vraiment dommage. Mais toutefois ce petit film a le mérite d'exister et ainsi de pouvoir susciter des débats essentiels. A ne pas manquer quand même, ne serait-ce que pour sa charge émotionnelle assez fantastiquement portée par son actrice principale.
Robinson Crusoé
09:10 Publié dans Cinéma, digression | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 20 mai 2005
Des Rencontres utiles...
du 24 au 28 mai 2005 à Bayonne
Cinq jours de plaisir, de convivialité, sans compétition mais avec la volonté de faciliter au mieux les rencontres entre le public et les réalisateurs, écrivains ou photographes qui traverseront ce temps particulier de notre saison cinématographique. Cinq jours pour être utile, pour nourrir les imaginaires et pour découvrir des témoins importants de notre histoire contemporaine. Aux côtés de plusieurs cinéastes « en résidence » à Bayonne, vous pourrez croiser, Hocine Zaouar, photographe algérien, ou Georges Ibrahim, le directeur d’Al Kasaba, la cinémathèque de Ramallah. Le premier, aujourd’hui encore totalement ostracisé dans son pays, est l’auteur de "La Madone de Benthala", cette fameuse photo qui a fait le tour du monde et le second gère le dernier cinéma ouvert dans les Territoires occupés.
Ces Rencontres seront l’occasion de faire exister des films exigeants, de démontrer la capacité du cinéma à être le témoin des enjeux de nos sociétés ou à porter la voix des « sans voix ». Elles permettront d’accompagner certains films par des regards croisés, d’apporter des éclairages sur des questions importantes – pouvoir des images, logiques de création et de diffusion- dans une époque difficile où la satisfaction du consommateur reste la règle. Nous prendrons également le temps pour des moments de fête et de légèreté, pour des discussions à bâtons rompus à la taverne sur le cinéma que nous aimons, un cinéma utile pour vivre et pour rêver !
Jean-Pierre Saint-Picq
Président de l’association Cinéma et Cultures
07:35 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 16 mai 2005
Paris-Texas en V.O.F*
TEXAS
Que d’aventures !... Ce soir avec Mamour, c'était programme "ttotto-lolo", c'est à dire la version bayonnaise du cocooning. Dîner léger ou pas de dîner du tout (nous avions mangé très tard cet après-midi), canapé et téloche. Le canapé est petit, la proximité est donc des plus intéressantes… et puis elle m’annonçait, au choix, deux grands films : soit L’Homme sans passé de Aki Kaurismäki (noté TT par Télérama), soit Paris, Texas de Wim Wenders (véritable film culte noté TTT). Évidemment, moi j’ai tout de suite été tenté par Monsieur Hire de Patrice Leconte (TT). Mamour a un peu toussé, son rhume s’éternise. Alors j’ai juste dit que j’aimais bien ce film, mais surtout la musique, tout ça, quoi. Alors elle m’a répondu que je n’avais encore jamais vu Paris, Texas et que sur Paris Première on pourrait le voir en VO. Faut vous dire que désormais il m’est devenu carrément impossible de voir un film en V.F. Insupportable, je trouve ça in-sup-por-ta-ble. Et Mamour n’est pas loin de partager mon sentiment. Et puis, sur ARTE c’est de pire en pire, non seulement ils se mettent à passer les films en V.F. les dimanche soir au prétexte d’élargir leur audience, et donc les meilleurs films du répertoire au «grand public», mais même les lundi de pentecôte travaillés gratuitement, maintenant, les films sont doublés et non plus sous-titrés comme je les aime.
Bref, nous nous sommes branchés sur le câble et entrelacés dans le canapé pour regarder l’inoubliable chef-d’œuvre de Wim Wenders (je dis ça maintenant, encore à chaud et en exagérant à peine). Sa tête sur mes genoux, mes doigts fourrageant dans sa douce chevelure, tout ça, les tout aussi inoubliables notes de musique de la guitare de Ry Cooder nous envoûtent déjà. Bon, pour voir un film en V.O. sur Paris Première, il y a une petite manipulation à faire avec la télécommande. Sélectionner la langue du film (choix entre français et anglais) et choisir le sous-titrage (aucun ou français). C’est magique la technique en 2005, tout du moins pour moi qui adore m’étonner au quotidien. Mais, malheureusement, la technique a quotidiennement aussi des caprices. Des bugs comme qui dirait. Et là, ça cause toujours français dans le poste. Mamour doute un instant. Peut-être que c’est parce qu’il y a une actrice française, Aurore Clément, que ça cause en français au début. Elle ne se souvient pas bien. Elle l’a vu il y a très longtemps. D’ailleurs, nous vérifions dans Télérama, le film date de 1984, et il y a bien précisé V.M. C'est-à-dire «version multiple». Donc nous continuons à bidouiller avec la zapette. Chacun son tour. En vain. Ça continue à causer français. Et pourtant on a tout réglé tout bien comme il faut. Le «langue» sur anglais et le «sous-titrage» sur français. D’ailleurs le sous-titrage s’affiche bien, dans la même langue que le doublage déjà agaçant… et c’est là que ça devient drôle. On aurait pu s’attendre à ce que ça dise exactement la même chose –avec peut-être quelques raccourcis pour la version texte--, mais pas tout à fait. En fait c’est carrément différent, sur quasiment toutes les répliques du dialogue, il y a un décalage. Et ce décalage n’est pas seulement dû à des inversions à la traduction ou à l’utilisation aléatoire de synonymes. C’est quasi systématique. A un point que ça parasite un peu le film car, Mamour et moi avons notre attention chaque fois sollicitée par des «étonnements» à la différence des traductions. J’aurais dû prendre des notes. Ma mémoire ne fonctionne pas à la citation alors il m’est malheureusement impossible de pouvoir illustrer ici mon propos par des exemples concrets. Parfois c’était carrément rigolo. Bref, cela nous a démontré, si besoin était encore, la bien piètre qualité, pour ne pas dire pire, des doublages (et cela sans parler du choix des voix ou de la diction des acteurs réalisant les doublages en français… à part Aurore Clément qui manifestement se doublait elle-même) tout comme les approximations systématiques du sous-titrage. Me concernant cela aurait plutôt confirmé un a priori récurrent… Toujours est-il que, disons un peu grâce à ce bug de la V.M . sur Paris Première, j’ai pu pour la première fois depuis longtemps regarder un film en version doublée. Et je suis loin de le regretter. Vraiment. Paris Texas est vraiment un chef d’œuvre… à revoir dans une salle de cinéma et sur grand écran pour encore mieux jouir de la beauté de cette lumière de novembre au Texas photographiée par Robby Müller… et en V.O. Et Nastassja Kinski, dans son pull-over rouge, hum… Au fait, quelqu’un aurait-il de ses nouvelles depuis son «retour» sur les écrans dans An American Rhapsody en 2001 et À ton image de Aruna Villers en 2002 ?
Un dernier truc, L’Homme sans passé sur ARTE, ils l’ont diffusé en V.O. C’est tout du moins ce que prétend Télérama, je viens de vérifier. Et c’est tout de même sans aucun regret, même si Mamour a trouvé quelques longueurs à Paris Texas. Moi je n’espère désormais plus qu’une chose, que Ramuntxo nous le programme à l’Autre cinéma.
Le plébéien bleu
* V.O.F. = Version Originale Française (mais alors vraiment originale, hum)
23:30 Publié dans Cinéma, digression | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 13 mai 2005
Shizo ou Schizo au Kazakhstan :
La schizophrénie du cinéma
Mercredi soir il y avait "soirée" à l'Autre cinéma. Et comme je suis devenu un inconditionnel de la programmation de Ramuntxo, je ne pouvais évidemment pas manquer ce rendez-vous. Donc, 20h40, j'arrive devant la caisse où Jean-Phi semble devoir "batailler" avec des spectateurs à qui il explique le chemin pour rejoindre l'Atalante à temps avant la projection de Lemming (dont je viens de causer). En effet, à l'Autre cinéma, la salle est pleine et... ça me semble quand même un peu bizarre. En fait, c'est la petite salle qui est pleine, celle où on projette Le Crime Farpait (je vais le voir cet après-midi) : malaise !
Salle René Vautier, nous ne serons que six à faire le voyage aux confins des mondes chinois, russe et iranien en compagnie de Guka Omarova. Pour un très joli «petit film» que nous pourrons quand même voir ou revoir jusqu’au 24 mai à l’Atalante. Comme on aurait pu dire mon programmateur préféré, ce premier film de la réalisatrice kazakh «nous donne des nouvelles de cette Asie centrale qui ne se donne jamais en spectacle aux feux de l’actualité furtive de nos écrans cathodiques» (imité-je bien ?). Et pour avoir encore plus de nouvelles, il aurait fallu que je reste au «débat» afin d’écouter le très certainement passionnant témoignage de Guillaume Reynard, le talentueux illustrateur de la plaquette de présentation du film pour la France. Mais je n’ai pas osé, la schizophrénie cinéphilique fait des dégâts dans ma tête aussi. Il était pourtant si souriant et avenant ce Guillaume Reynard qui s’était déplacé, depuis très loin certainement, pour seulement six spectateurs (et pour un film et un pays auquel il est manifestement très attaché). Et qui souriait quand même, sincèrement, ça ne s’imite pas facilement la sincérité, malgré l’amertume d’une salle pleine à côté de sa salle quasiment aussi déserte que les steppes du Kazakhstan. Je m’en veux de cette «fuite» et voudrais lui présenter mes excuses si c’était possible… Alors en attendant, j’ai tout bien lu la plaquette que l’on trouve sur le comptoir de la caisse à l’Atalante, et puis aussi tout bien le dossier de presse… Le Crime Farpait me changera un peu les idées cet aprém’…
Robinson Crusoé
11:45 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 12 mai 2005
Le Lemming aurait-il des Palmes ?
«Voilà un film qui ne risque pas d’être primé à Cannes» m’a dit Mamour cet après-midi en sortant de la salle de cinéma. Là, à chaud, cette réflexion laconique m’a plutôt scotché. Surtout que nous n’avions pas trop le temps de discuter. Moi, j’étais encore entièrement sous le choc, donc je n’ai su que bredouiller quelque chose dans le genre «oui, t’as raison… mais j’ai tout de même bien aimé… pas toi ?»… Ce n’est pas la première fois que nous avons des avis divergents sur un film. Quoique très généralement nos goûts cinématographiques sont très proches (nous avons pas mal de points communs comme ça qui autorisent un certain optimisme sur la pérennisation de notre projet de couple), il est arrivé que nos sentiments après une projection soient radicalement en opposition… par exemple très récemment encore à propos de Le Couperet de Costa-Gavras, mais je me refuse à en causer ici car ce serait faire de la pub à du gâchage de pellicule au prix où qu’elle est (j’exagère à peine). Bref, nous avons quand même commencé à en discuter, de Lemming je veux dire. Oui Lemming le film de Dominik Moll, celui qui était projeté hier en ouverture du festival de Cannes et que Ramuntxo n’avait pas encore vu mais que son instinct de programmateur de génie a su mettre en bonne place sur sa grille du mois de mai. Lemming, oui, vous savez, le petit rongeur aux mœurs surprenantes qui vit exclusivement dans le Grand Nord, au nord de la Finlande, là où on trouve parfois aussi des rockers étonnants… mais là n’est pas le sujet. Oui, le lemming, c’est précisément la «clé» de ce film tout aussi énigmatique que passionnant. Cent vingt neuf minutes de tension extrême quasi ininterrompue. En sortant de la salle, j’avais des crampes aux mains… et plein d’interrogations dans la tête. «Le public était très partagé à la sortie du film hier soir» m’avait prévenu Mamour… Maintenant que je crois avoir compris l’essentiel de la trame irrationnelle du film, je pense que c’est parce qu’une bonne partie du public n’a pas su tout déchiffrer que persiste ce malaise à la sortie. En fait, pour moi tout s’est éclairé quand je suis sorti des chiottes. Sur le mur de droite, alors que j’étais tout bien concentré sur mon trône, j’ai suivi du regard une petite fissure et j’y ai vu… le St Esprit ! Non, là je déconne, j’ai tout simplement repensé à cette histoire de clé que Charlotte Gainsbourg-Rampling donne à Laurent Lucas, j’ai repensé à sa blessure à la main censée avoir été faite par le féroce lemming… et puis j’ai revu le lemming tout séché ramassé par Bénédicte qui n’était plus Alice, et j’ai tout pigé. Génial que je me suis dit ! En fait, je pressentais bien que ce film était génial en sortant de la salle, même si pour lors je n’avais pas encore tout bien-bien compris. Re-bref, je ne vais pas vous le raconter ce film au scénario VRAIMENT génial. Je répète ce même mot de «génial» à l’envi car tout simplement c’est le seul qui convienne à mon sens. Quoique bien peu «palmophile» je pressens (tous ces pressentiments seraient-ils le fruit de la fameuse «fissure» ?) que Lemming n’est pas, comment dire ? oui, n’est pas formaté pour une palme à Cannes. Et pourtant, peut-être qu’il mériterait un prix du meilleur scénario, peut-être que les deux Charlotte devraient triompher ex aequo pour la palme de la meilleure actrice . Et peut-être qu’aussi cet odieux charmeur d’André Dussolier… Et Laurent Lucas. Meilleurs acteurs. Et le génial réalisateur, bien sûr, meilleurs génial parmi les génials. On a souvent dit que Dominik Moll, et tant que scénariste comme en tant que réalisateur, avait largement puisé dans le cinéma de Hitchcock ou de David Lynch... Le David Lynch de la manipulation et le Hitchcock de la tension où il excelle peut-être mieux encore que ses maîtres. Oui, Lemming saura susciter entre spectateurs d'interminables discussions afin de confronter les différentes lectures "possibles" de l'histoire, même si au fin des fins une seule lecture peut l'emporter au pays fictionnel de tous les irrationnels. Mais peut-être que Lemming nous propose une "solution" rationnelle un peu trop complexe pour concurrencer le "mystère hitchcockien", peut-être qu'il flirte un peu trop avec la trame en forme de puzzle à miroirs du Spider de David Cronenberg ! Le génie ne se ponctue pas forcément des ovations complices du grand public. Je ne sais pas si cela est heureux ou malheureux. Le Lemming aura-t-il des Palmes pour remonter depuis la bonde de nos éviers jusqu'à son mytique Grand Nord d'où, tous les 30 ans, il recommencera son inexplicable migration mortelle ?
Robinson Crusoé
22:00 Publié dans Cinéma, digression | Lien permanent | Commentaires (6)
vendredi, 22 avril 2005
Vas Vis et Deviens
Oui, biens sûr, je m’en doutais… de voir plusieurs fois la bande annonce, ça me confirmait cette quasi-certitude… j’étais en quelque sorte prévenu. Donc, suivant en cela l’adage, j’étais doublement sur mes gardes en m’asseyant, en cette fin d’après-midi, dans le moelleux fauteuil du premier rang, pilepoil celui du milieu, salle Antton Ezeiza de l’Autre cinéma, quai amiral Sala, à Bayonne. Il me plait d’être très précis lorsqu’un sujet un peu délicat me fait fouiller dans mes incertitudes pour dégoter le mot le moins approximatif pour expliquer… Mouais, pour expliquer que ce film, je ne voulais pas le voir. Que la « prestation » de son réalisateur en tournée de promotion sur une quelconque chaîne de téloche m’avait carrément ulcéré, même si maintenant je ne sais plus trop pourquoi. Mouais j’avais intrinsèquement décidé de le zapper. Mouais. J’ai un peu honte de faire cet aveu ridicule, mais il est nécessaire à la compréhension de mon état d’esprit à la sortie, ce soir, à 20 h 45. En fait, mon a priori sur ce film était tout aussi simpliste que faux. Je m’attendais à une « juiverie* » de plus… bon, quand je dis de plus, faudrait surtout pas en déduire que c’est la tasse de thé de mon programmateur préféré. Bon, toujours est-il que là je m’en veux vraiment d’avoir soupçonné Ramuntxo de pouvoir programmer des « trucs » exprès pour me foutre en rogne**. Parfois, rétrospectivement, et donc forcément trop tard pour que cela me soit salutaire, je me trouve franchement con. Con et paranoïaque. Con et égocentrique, davantage encore…
Robinson Crusoé
* Je suis tout à fait conscient de la teneur péjorative voire insultante du mot « juiverie », mais même un athée se targuant d’être un intégriste de l’anti-racisme et de l’anti-xénophobie comme moi peut vouloir confesser que, parfois, ses sirènes d’anti-sionisme pudique se muent en anti-sémitisme pornographique. Vala. Celui qui n’a jamais… la première pierre (et vive l’intifada quand même, au passage), la paille, la poutre, tout ça… ** Oui je n’ai toujours pas digéré ma rogne suite à la programmation à rallonge de Omagh… et ma nouvelle rogne pour D’autres Mondes (j'écrirai peut-être un truc un peu plus tard sur le sujet, quand j'aurai mis mes idées un peu en place et que ma colère deviendra combattante) heureusement programmé une seule fois mardi dernier.
23:00 Publié dans Cinéma, digression | Lien permanent | Commentaires (5)
mercredi, 20 avril 2005
Où est donc passé Faysal Hussein ?
L'homme marche sur un trottoir, une silhouette efflanquée se fondant dans une djellaba blanche avec boléro brodé, costume traditionnel pakistanais très certainement musulman. Il tire derrière lui, paisiblement, une chèvre, au bout d’une corde. Ça se passe quelque part en Angleterre, dans une rue d’un quartier résidentiel populaire, immeubles aux murs de briques, peut-être à Londres, ou ailleurs, peu importe. La scène pourrait sembler « décalée », comme on dit, mais elle ne l’est qu’un tout petit peu. Je suis assis dans un fauteuil de cinéma, tout de même... A prendre juste cette image, rien que cette image unique, isolée du contexte, extraite du film, cet homme étrange, cet animal hors de propos, on sourit, obligatoirement. Un sourire attendri et curieux à la fois… Il était encore très probablement vraisemblable de faire pareille rencontre à l’automne 2001 dans les ghettos « pakis » de Grande Bretagne. Mais aujourd’hui, trois ans et demi après le « début de la guerre des civilisations », où sont donc passés Faysal Hussein et sa chèvre Hannah ? Je me suis familiarisé tout de suite avec cette chèvre, je ne saurais trop dire pourquoi, là je lui donne son petit nom bien que je n’ai jamais vu ni entendu Faysal ou quiconque s’adresser à elle. Il m’aura fallu une certaine sagacité au déchiffrage du générique de fin… Bref, juste avant cette scène teintée d’un soupçon de surréalisme, les forces spéciales anti-terroristes de la police britannique prenaient d’assaut une petite maison un peu plus haut dans cette même rue, domicile vers lequel se dirigent en toute insouciance (en toute innocence aussi) Faysal et sa chèvre. De nationalité pakistanaise, c’est là que depuis quelques mois vit cet homme en attente des papiers pour pouvoir enfin habiter sur le sol de la « perfide Albion », en toute sérénité espère-t-il. Chez son épouse. Enfin, disons plutôt accueilli chez sa cousine compatissante (et surtout obéissant à la sacro-sainte autorité paternelle) qui a contracté avec lui un mariage de convenance. La belle Yasmin, la véritable héroïne du film, qui ne souhaite que s’européaniser, quitter son voile islamique pour vivre sa vie et le retrouver pour aimer son père et les siens, en constant grand écart entre sa tradition familiale et ses aspirations intimes à la liberté, Yasmin sait qu’elle divorcera… Et lui, Faysal, il imagine, il rêve d’autres choses, toutes simples, telles que celles qui lui sont dictées par sa culture villageoise qui ignore tout de notre « modernité », il rêve de devenir le véritable époux respecté de sa belle cousine. Mais en attendant, Yasmin a été arrêtée en compagnie de son petit frère, de son père, de voisins, otages des croisés anti-Ben Laden de banlieue. Et là, le Ben Laden de banlieue, impossible de discerner qui il est, de Faysal ou de Hannah, tant le mimétisme est criant, criant cette même innocence de l’homme et de l’animal. Sans rien comprendre de ce qui se passe autour de lui, il se jette dans la gueule des loups en uniformes. Les tenants de l’ordre sécuritaire, en ce onze septembre-là, ont atteint au « ground zero » de l’intelligence civilisatrice. La chèvre n’aura pas eu besoin de casser sa corde pour courir au devant de la mort annoncée, les tours jumelles se sont effondrées en direct et des milliers de fois sur des millions de postes de télévision devant des milliards de regards aussi effarés que ceux de Faysal. Que lui est-il arrivé ? Comprendra-t-il jamais ?
Des silhouettes efflanquées flottant dans leur djellaba, la même barbe au menton que celle de leur chèvre, on n’en sourira plus. L’innocence leur est désormais interdite dans les rues de Londres et de tout l’occident où les Croisés de l’horreur impérialiste affirment que Dieu bénit leurs verts billets de banque. Ce même vert couleur de la foi de Mahomet en pays d’Islam. La peur est de retour. Yasmin exhibe dorénavant et avec ostentation son voile communautariste… John épousera sans doute une rousse ou blonde anglaise. Nasir, le petit frère, est parti défendre Jérusalem contre les Croisés qui ont tout cassé chez lui. Khalid, le père si fier et si digne, se consume d’une honte inextinguible. Et Faysal ? Où est donc passé Faysal Hussein ? Jusqu’à Bayonne, sa djellaba est aussi suspecte de toutes les terreurs. Par la faute à qui ? Aux guerres de religions ? Aux chocs des civilisations ? Au cumul insensé de toutes les déraisons humaines ? C’est ce que nous dit, ce que nous montre le superbe film de Kenneth Glenaan. Moi j’ai bien une autre idée, mais, bon, Yasmin est si belle ! En plein deuil ostentatoire de la Laïcité, j’avoue regarder désormais avec comme de la tendresse ce voile censé souligner la pudeur des musulmanes, si belles, si dignes, si intelligentes. Même si, toutes les religions me font plus peur que jamais, après ce si beau film, je veux faire preuve du courage nécessaire pour accepter (et pourquoi pas aimer) les différences. Au moins le temps que la cendre et les fumées se dispersent dans un souffle d’humanité, tout simplement.
Robinson Crusoé
23:05 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 18 avril 2005
Le film à voir en ce moment
Bin Jip
Les Locataires
(étrange traduction française du titre).
Vu deux fois pour l'instant à l'Atalante... j'attends encore un petit peu avant qu'il soit projeté à l'Autre cinéma (ça ne saurait tarder) pour le revoir encore et encore.
Robinson Crusoé
23:30 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)